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Décryptage

Scènes incestueuses : «No Mercy», le jeu vidéo qui a créé la polémique sur la plateforme Steam

Le titre mettant en scène des violences sexuelles a récemment été retiré de l’hébergeur américain, sous la pression du public. Un faux pas dû au modèle économique et à l’absence de modération de Steam.
« No Mercy», produit par le développeur Zerat Games, simulait des viols et des pratiques incestueuses.
publié le 23 avril 2025 à 9h47

Les néophytes ne la connaissent pas, mais les joueurs – même occasionnels – savent qu’elle est une référence incontournable du secteur : la plateforme Steam, propulsée par le studio de développement américain Valve en 2003, est l’un des plus gros hébergeurs de jeux vidéo en ligne. Mais récemment, celle-ci s’est retrouvée au cœur d’une polémique mondiale, à cause d’un jeu contenu dans son catalogue, No Mercy, produit par le développeur Zerat Games, qui simulait des viols et des pratiques incestueuses. «Ce genre de contenu est illégal. Il faut que les plateformes de jeux fassent preuve de responsabilité», a déploré la ministre britannique de l’Intérieur, Yvette Cooper, sur la radio LBC le 10 avril. Une pétition rassemblant près de 70 000 personnes a également appelé à la suppression du jeu qui a finalement disparu de Steam le 10 avril. L’événement est exceptionnel, car généralement, la plateforme ne fait qu’héberger du contenu sans prendre de décisions éditoriales – laissant fleurir un écosystème vidéoludique très riche, mais qui présente toutefois quelques zones d’ombre en matière de modération.

Comment ce jeu a-t-il pu se retrouver sur Steam ?

La plateforme n’a pas de «contrôle éditorial», et «tout le monde peut sortir» son projet, détaille Olivier Mauco, président de Game in Society et de l’Observatoire européen des jeux vidéo. «Steam est un support technique, il ne publicise pas» précise-t-il. De fait, la plateforme se définit comme un simple hébergeur et non comme un éditeur, statut juridique relevant de la législation européenne qui lui permet de ne pas être tenu responsable des contenus publiés, sauf si elle est notifiée d’un contenu illicite et qu’elle n’agit pas en conséquence. La marketplace du jeu en ligne intervient très peu, et se contente de distiller çà et là des indications telles que : «Ce jeu peut contenir du contenu qui ne convient pas au grand public. En cliquant sur le bouton “Voir la page” ci-dessous, vous affirmez que vous avez au moins 18 ans.»

Hormis cela, il est rare que l’hébergeur prenne des décisions éditoriales, et cela survient surtout lorsque l’opinion publique s’en mêle. C’est le cas en 2017. Le jeu House Party a fait scandale avec une mise en scène d’une soirée alcoolisée où sont commises des violences sexuelles. L’entreprise retire le titre, comme le relate un article dans Numerama. Mais en 2022, le jeu est de retour sur la plateforme. Une autre affaire défraye la chronique en 2019 : Steam bloque la diffusion d’un jeu mettant en scène les protestations survenues à Hongkong la même année. Le média spécialisé Game Rant analyse cette décision : la Chine surveille de près Steam qui tente ainsi d’éviter la censure. En novembre 2024, Steam héberge une simulation reconstituant les attaques du 7 Octobre perpétrées par le Hamas contre Israël. En Angleterre, le gouvernement fait pression, et la plateforme supprime le jeu de son catalogue britannique mais le conserve dans de très nombreux pays.

Quelle est la spécificité de la plateforme ?

«Historiquement, l’idée était de créer une marketplace pour les jeux vidéo en ligne et ça a plutôt bien fonctionné», analyse Olivier Mauco. Le catalogue est colossal, alignant près de 30 000 jeux dont certains proviennent de gros éditeurs tandis que d’autres de productions indépendantes. Ses chiffres de fréquentation sont pharaoniques, avec près de 30 millions d’utilisateurs quotidiens comme indiqué sur leur site. Un tel succès s’explique en partie car l’hébergeur est apparu dans une période favorable, où le jeu en ligne connaissait une forte expansion. En outre, «ils ont eu beaucoup de succès en mettant en place du modding amateur», souligne le chercheur, c’est-à-dire quand des joueurs non professionnels ont la possibilité de modifier un jeu existant pour en créer une version alternative (ils peuvent changer la musique, le design, parfois les règles du jeu…). Cela permet à des amateurs de s’initier plus simplement au développement de jeux vidéo.

Fort de ce succès, Steam présente un catalogue vertigineux. Des blockbusters calibrés aux jeux narratifs plus bricolés et expérimentaux, il mêle absolument tous les genres et les esthétiques. Au sommet des charts en 2024, Balatro, jeu canadien inspiré du poker, MiSide, récit interactif mêlant aventure et horreur développé par le studio indépendant russe Aihasto ou encore Webfishing, proposant une session de pêche multi-joueurs. En fouillant un peu plus, on tombe sur des aventures post-apocalyptique, des jeux de stratégie militaire, de foot ou de chasse et divers jeux de simulations. Le catalogue comprend également du contenu érotique et sexuel pour adultes.

Quel est son modèle économique ?

La plupart des jeux disponibles sur Steam sont payants, et les prix très variables peuvent aller jusqu’à une centaine d’euros. L’argent déboursé par les utilisateurs revient ensuite au développeur du jeu, qui reverse une commission d’environ 30 % à la plateforme. «Il y a une contrepartie pour le développeur qui bénéficie d’un service client, d’une analyse des données» pour voir les performances de son jeu, détaille Olivier Mauco, qui souligne que cette part est plutôt «classique» dans le secteur.

Ce système peut toutefois sembler inéquitable puisqu’il s’applique aux gros éditeurs comme aux créateurs indépendants, qui n’ont pas la même solidité financière. Mais ces derniers sont libres de fixer le prix de leur choix et surtout, Steam leur permet de s’affranchir d’un réseau de distribution et de créer plus librement. C’est donc au développeur de bâtir sa communauté, et «de trouver son public» pour faire connaître son jeu et prétendre à des revenus. En tout cas, Steam «permet à des créateurs indépendants d’émerger», observe le chercheur.

Quelle est la responsabilité de la plateforme face à son contenu ?

Les récentes polémiques autour du jeu No Mercy amènent à questionner la responsabilité de l’hébergeur dans la diffusion de tels contenus. Car Steam ne filtre presque rien, et en l’absence de cette modération, il arrive que soient diffusés sans limite d’âge claire des jeux pour adultes, et parfois même des productions au contenu légalement répréhensible. En effectuant quelques recherches, il est possible de tomber sur des jeux dont les auteurs disent qu’ils contiennent «des scènes d’activité sexuelle non consentie» ou encore «des agressions sexuelles». Des dizaines d’autres du même genre s’y trouvent. Certains contiennent également des scènes d’inceste et sont joués parfois par des milliers d’utilisateurs.

Olivier Mauco estime de son côté qu’il est plus sage que «l’on connaisse l’existence de ces jeux pour ensuite agir, plutôt que tout cela ne se fasse sous le manteau». A son sens, il faut également privilégier l’éducation et la sensibilisation. En tout cas, cette polémique met à l’ordre du jour la question du statut de Steam, qui en tant qu’hébergeur, fait le pari de la liberté au détriment de la modération. Toutes les plateformes de jeu en ligne ne s’alignent pas sur cette orientation. D’autres comme Epic Games Store ou GOG revendiquent à l’inverse une vraie éditorialisation et modèrent de façon active leur catalogue, offrant un environnement plus sécurisé mais aussi plus contrôlé en matière d’image et de diversité de contenu.

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