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Reportage

A Lyon, une coopérative pour réhabiliter avec habileté

Finance solidaire et logementdossier
En s’associant avec des créanciers et des acteurs de la finance solidaire, Néma Lové rénove des appartements destinés à l’hébergement et à l’insertion de publics fragiles.
(Frâneck/Libération)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 24 janvier 2025 à 4h30
(mis à jour le 24 janvier 2025 à 17h46)

De petites maisons avec un bout de jardin, quelques immeubles d’une poignée d’étages au bas desquels on se gare facilement : cette rue préservée se distingue en bordure des grands ensembles des quartiers populaires de Mermoz et des Etats-Unis. Des commerces se trouvent tout proches, ainsi qu’un arrêt de métro à cinq minutes à pied. C’est là, dans le VIIIe arrondissement de Lyon, que la coopérative Néma Lové retape un appartement. Le règlement de copropriété du bâtiment date de 1943 et «tout est à réisoler» dans ce T3 d’une quarantaine de mètres carrés remis à neuf, dit Pierre Anquetil, chargé d’opérations chez Néma Lové. Cette coopérative immobilière à but non lucratif, créée en 2001, regroupe dix associations du Rhône, de la Loire et de la Haute-Loire, dont elle assure le portage pour créer des logements destinés à l’hébergement et à l’insertion de publics fragiles.

Projets d’achat et de rénovation

«On s’inscrit dans une chaîne d’acteurs complémentaires, chacun maîtrise sa partie mais on travaille en étroite collaboration», explique Pierre Anquetil, venu s’enquérir de l’avancement des travaux. L’emménagement devrait avoir lieu fin février, «pour se caler sur les APL». Prévu pour un couple avec un enfant ou une famille monoparentale, l’appartement comportera deux chambres, une salle de bains et une cuisine ouverte sur le salon, pour un loyer de 310 euros par mois. Des cloisons ont été abattues afin de remodeler l’espace et d’installer la tuyauterie. Le dernier occupant avant le rachat se contentait d’une baignoire masquée par un paravent dans la cuisine d’époque. L’isolation va être réalisée à la laine de verre, en préservant le cachet de l’endroit – moulures, parquet et carrelage originels. Sur d’autres chantiers de rénovation, Néma Lové privilégie des matériaux biosourcés.

Ici, «comme les pièces sont déjà réduites, chaque centimètre compte, on a arbitré en faveur de la surface, parfois c’est le coût qui décide», détaille Pierre Anquetil. En langue romani, «néma lové» signifie «je n’ai pas d’argent». C’est la raison d’être de la coopérative : acquérir des lieux à réhabiliter et des terrains à bâtir, ou proposer à des propriétaires privés des baux à réhabilitation pour des logements en mauvais état, afin de loger les plus précaires. Néma Lové n’a elle-même «pas de fonds propres, alors on a développé notre capacité à en avoir, on externalise le coût du foncier, en le divisant et en le redistribuant». Le mécanisme est le suivant : la coopérative s’associe avec des créanciers, comme la Caisse des dépôts et consignations, des collectivités territoriales et des acteurs issus de la finance solidaire. Ils abondent les projets d’achat et de rénovation sous forme de prêts ou de subventions, ce qui leur permet de produire du logement dit «très social», sans pour autant devoir porter des projets d’ampleur, plus lourds en termes de financement et d’urbanisme.

Transfert temporaire de propriété

«Un ou deux appartements achetés dans une copropriété, c’est anonyme, c’est du diffus. Contrairement à ce que font certains opérateurs en achetant des immeubles entiers, on fait plutôt de la dentelle dans le tissu urbain existant», souligne Pierre Anquetil. Ce financement peut être conditionné à l’amélioration des performances énergétiques, si des fondations privées entrent dans la boucle – réclamant au maître d’ouvrage, Néma Lové, des garanties énergétiques, afin de récupérer les primes du certificat d’économie d’énergie. C’est le cas pour le T3 à Lyon : les travaux d’isolation vont faire progresser son diagnostic, passant de D à C. Cette rénovation est financée par la métropole et la ville de Lyon, par la Caisse des dépôts et, à la marge, par la Fondation Abbé-Pierre. Mais c’est sa société d’investissement solidaire, Soliko (ex-Solifap), qui a mis sur la table les 148 000 euros nécessaires à l’acquisition de l’appartement.

Néma Lové n’en remboursera qu’un tiers. Et dans quarante ans, Soliko sera propriétaire des lieux. C’est l’intérêt du bail à réhabilitation, qui équivaut à un transfert temporaire de propriété. L’investisseur ne perçoit pas de loyer mais ne paie pas non plus les travaux, les charges et l’impôt foncier. Et lorsqu’il récupère son bien, maintenu en bon état, il est libre d’occupants. A ce jour, Néma Lové possède 125 logements, dont 24 coproduits avec Soliko. Ce système bénéficie aussi à l’autre bout de la chaîne : c’est l’association Action pour l’insertion par le logement (Alpil) qui se chargera de la gestion locative du T3 et de l’accompagnement de ses occupants, des familles sans abri «avec un parcours de rue parfois long et une rupture importante», explique Simon Serieye, référent technique habitat à l’Alpil. Deux préalables leur sont nécessaires «pour se stabiliser» : le déblocage de leurs droits sociaux et l’accès au travail. Puis viendra le jour où elles pourront faire une demande de logement social plus pérenne.

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