Comme le disait Jacques Chirac, «les emmerdes, ça vole toujours en escadrille» et ce n’est pas le Rassemblement national qui dira le contraire. Le parti d’extrême droite a appris, mardi, l’ouverture d’une enquête du parquet européen visant l’ex-groupe Identité et Démocratie (ID), dans lequel siégeaient les eurodéputés du parti, suspecté d’avoir «indûment dépensé» plus de 4,3 millions d’euros entre 2019 et 2024. Quelques heures plus tard, mercredi 9 juillet, Jordan Bardella a annoncé sur X qu’une vingtaine de policiers de la brigade financière, accompagnés de deux juges d’instruction, étaient en train de perquisitionner le siège du RN depuis 8h50.
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L’eurodéputé a affirmé que «l’intégralité des dossiers qui concernent les dernières campagnes régionales, présidentielles, législatives et européennes – soit toute l’activité électorale du parti – est aujourd’hui entre les mains de la justice». Le président du parti à la flamme a ajouté que «tous les mails, documents et éléments de comptabilité du premier parti d’opposition sont saisis». Bardella, qui y voit «une nouvelle opération d’acharnement et de harcèlement», a encore estimé que cette perquisition n’était autre qu’un «prétexte pour s’emparer de l’intégralité des documents internes» et pour «fouiller [son] bureau». Il s’agit surtout d’une nouvelle affaire embarrassante pour la formation d’extrême droite, déjà ébranlée fin mars par l’affaire des assistants parlementaires fictifs au Parlement européen.
Des soupçons de dons déguisés et de surfacturations
La perquisition entreprise mercredi matin par la brigade financière et anticorruption de la police judiciaire de Paris est menée dans le cadre d’une enquête pour financement illicite des campagnes présidentielle et législatives de 2022 d’après le parquet. Elle fait suite à une information judiciaire ouverte le 2 juillet 2024 sur des prêts accordés par des particuliers au parti de Marine Le Pen après un signalement de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
Les investigations doivent ainsi «permettre de déterminer si ces campagnes ont été notamment financées grâce à des prêts illégaux de particuliers bénéficiant au parti ou à des candidats du Rassemblement national», a fait savoir le parquet de Paris. Outre les soupçons qui visent ces prêts, la justice enquête aussi sur de possibles «surfacturations de prestations ou des facturations de prestations fictives ayant été intégrées par la suite dans les demandes de remboursement forfaitaire par l’Etat des dépenses de campagne». D’autres perquisitions ont donc également été menées au sein de plusieurs entreprises, ainsi qu’aux domiciles des dirigeants de ces sociétés.
Le RN, champion des emprunts auprès de particuliers
Les prêts venus de particuliers à destination des partis sont strictement encadrés et plafonnés. Ils ne peuvent être effectués «à titre habituel» et «ne peuvent excéder une durée de cinq ans ; ils ne sauraient constituer des dons déguisés», comme le rappelle le site de l’Assemblée nationale. Le RN recourt massivement à ces emprunts et affichait fin 2023 plus de 20 millions d’encours à rembourser «auprès de personnes physiques». La plus ancienne de ces dettes remonte même à 2007.
A tel point que le RN est devenu le parti qui a contracté le plus de prêts selon la CNCCFP. La formation lepéniste a ainsi bénéficié de 613 des 764 emprunts réalisés en 2021 par tous les partis confondus, puis 425 en 2022 (sur un total de 492) et encore 96 en 2023 (sur un total de 123). Parmi tous ces prêts, ceux de 23 particuliers ont retenu l’attention de la CNCCFP, qui les a signalés. Ils auraient été réalisés de manière habituelle au RN, pour un montant total supérieur à 2,3 millions d’euros, entre 2020 et 2023. Ces prêts aux allures de dons ont ainsi déclenché l’ouverture d’une information judiciaire en juillet 2024.
Des prêts «parfaitement légaux» selon Bardella
«Aucune banque française n’a souhaité prêter de l’argent au Rassemblement national pour financer ses campagnes électorales, donc il est quand même invraisemblable de reprocher au RN de se financer», a plaidé Jordan Bardella depuis Strasbourg, où il assiste à la session plénière du Parlement européen. Le chef du groupe Patriotes pour l’Europe a encore assuré qu’il s’agissait de «prêts qui sont parfaitement légaux, qui sont encadrés par des conventions de prêts, qui ont tous été remboursés par un compte de campagne qui a été validé et pour lesquels la Commission nationale des comptes de campagne dispose déjà de l’intégralité des informations».
Pour Jordan Bardella, «peut-être que l’objectif, ça a été pendant un certain nombre d’années de s’en prendre à la candidature de Marine Le Pen et désormais évidemment d’intégrer les dirigeants du Rassemblement national, de m’intégrer dans une boucle». Et le patron du RN d’oser encore : «Mon sentiment, c’est qu’en France sous Emmanuel Macron il vaut peut-être mieux être trafiquant de drogue qu’opposant politique.» Une quasi redite de la veille. Mis en cause par le parquet européen, le probable candidat du RN en 2027 avait déjà dénoncé une «nouvelle opération de harcèlement de la part de l’administration du Parlement européen». Une mise en cause de la justice devenue, au fil des affaires, la principale défense du parti d’extrême droite.
Mis à jour à 11 h 46 avec les soupçons de dons déguisés et de surfacturations, à 12 h 59 avec davantage d’éléments puis à 14 h 30 avec la réaction de Jordan Bardella et à 15 h 47 avec la suite de la réaction.